«What a day to be alive», lire Homo Sapienne de Niviaq Korneliussen et aimer plus fort la vie

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Niviaq Korneliussen

J’ai lu la préface de Daniel Chartier du roman si puissant de Niviaq Korneliussen, publié en français chez La Peuplade dans une merveilleuse traduction d’Inès Jorgensen, au chaud dans mon lit un soir de journée crispante. Daniel Chartier y écrit, dès la première page de sa préface que la lecture d’Homo Sapienne permettra au lecteur de « découvrir de l’intérieur et sans ménagement l’univers complexe et subtile des questionnements sexués de cinq jeunes urbains de Nuuk, pour qui la vie dans l’Arctique est au cœur des remises en questions contemporaines sur le genre ». J’ai dégusté la préface qui me préparait à recevoir un texte dont j’étais si impatiente de faire la rencontre.

Cette rencontre s’est faite dans une force d’une véhémence surprenante. Je m’attendais à aimer Homo Sapienne, à être comblée de ma lecture, mais je ne m’attendais pas au choc qui se produirait. Les quelques jours sur lesquels j’ai réussi à étirer cette lecture coup-de-passion, je ne voulais tellement pas que s’achève l’expérience, que se termine cette plongée grandiose dans un style et un univers si vertigineux, ces quelques jours ont été une parenthèse nécessaire, vitale et fondamentale. J’ai quitté avec une joie excitée, palpitante et fragile mon quotidien et son rythme pour lire lentement, me délectant avec un soin attentionné de l’œuvre si lucide et brillante de Niviaq Korneliussen. J’ai habité les pages d’Homo Sapienne pour mieux m’incarner dans ma propre vie. J’y ai puisé la force d’aimer toujours plus fort, d’agir avec des gestes plus sûrs et de me donner le droit de croire aux causes qui me tiennent à cœur.

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Dans Homo Sapienne, on croise le parcours de Fia, Inuk, Arnaq, Ivik et Sara, personnages si bien ficelés, si bien travaillés, vivants et forts à travers le langage si maîtrisé de Niviaq Korneliussen. L’œuvre se découpe en différents chapitres qui suivent chaque personnage, nous invitant à une incursion dans la vie de chacun. On ne peut ignorer les thèmes propres à la sexualité, au genre, à l’identité et à la construction de soi qui campent entre les pages du roman. Mais il est vrai qu’au-delà de ces personnages queers qui nous sont présentés, Niviaq Korneliussen décrit habilement diverses expériences, de multiples vies, auxquelles on peut s’identifier, qui permettent de réfléchir, mettre des mots sur ses propres interrogations, panser des blessures, couvrir de chaleur quand le froid des peurs et des incertitudes nous dévore et surtout qui font battre le cœur.

J’ai été soufflée par la franchise avec laquelle l’autrice traite certains sujets si profondément ancrés en chacun de nous. Par exemple, son appartenance à un lieu, son sentiment de chez-soi propre à un endroit. C’est avec le personnage d’Inuk que j’ai été le plus bouleversée. Celui qui incarne toutes ces questions qui m’habitaient en secret, cachées au fond de moi, me titillant sans que je ne sois capable de les formuler, de les confronter jusqu’à ce que les mots de Niviaq Korneliussen me permettent de leur donner enfin vie.

« Au fond, j’ai envie de voir mes amis. Au fond, je voudrais être avec ma famille. Au fond, je voudrais rentrer auprès de ma grande sœur. Mais je ne peux pas rentrer parce que j’ai déjà fui. Je ne pourrai jamais rentrer dans mon pays. Et je suis brisé : je me suis moi-même pris au piège. J’ai une incroyable nostalgie de chez moi, mais je ne sais pas de quel chez-moi j’ai la nostalgie. Où suis-je ? Je ne suis pas chez moi. Où dois-je aller ? Je n’ai pas de chez-moi où rentrer. À quel endroit j’appartiens ? Je n’ai pas de chez-moi.
Aujourd’hui est le jour. Le jour où je n’en peux plus. Le jour où j’ai perdu. La vie m’a piégé. La vie m’a vaincu. Aujourd’hui est le jour. Le jour où j’arrive à destination. Le jour de ma mort. Le jour où je rentre chez moi. La vie m’a tué.
/Dead. »

Une claque. Mais pas n’importe quelle claque. De ces claques nécessaires, puissantes, révélatrices. Se révéler à soi-même par l’expérience de la lecture, se reconnaître dans les mots d’une autre, se retrouver dans un personnage, vivre une vie et une expérience grâce au voyage entre les pages, tout cela est l’expérience rêvée, ultime. Il n’existe pas de plus belle manière de lire que d’arriver à mieux se lire après avoir lu une œuvre. C’est ce qui s’est passé pour moi avec Homo Sapienne. J’ai terminé ce texte bouleversant, renversant, profondément ingénieux et pénétrant avec l’urgence de le faire lire et connaître à tous ceux qui m’entourent.

J’avais besoin d’une telle œuvre. J’avais le désir secret que soient abordées ces identités, ces manières d’habiter le monde, ces vies et ces forces renversantes dans une écriture aussi franche et directe. Je cherchais depuis tant de temps à vivre ce que Niviaq Kornueliussen m’a permis d’expérimenter. Non seulement découvrir que je ne suis pas seule, mais surtout mieux penser ma vie, continuer de réfléchir sur les choix que j’y fais, les pulsions que je suis, ma manière d’être que je ne veux plus taire.

Il est difficile d’écrire un article sur une appréciation aussi personnelle d’une œuvre que l’expérience de lecture qu’elle m’a offerte. Lire Homo Sapienne c’est s’inspirer de la force de son autrice et de ses personnages pour s’accepter, pour vivre en prenant des risques, quitter la honte et affirmer qui l’on est.
L’ingéniosité de l’œuvre repose sans doute, au-delà de la diversité des individus qui y est présente, dans l’engagement de l’autrice qui fait partie de son texte. Le portrait peint de cette génération, sa génération mais aussi la mienne, la nôtre, est d’une lucidité désarmante et d’une nécessité urgente. Il y a tant de préjugés, de clichés et d’images apposés sur cette génération, tant de croyances infondées, ici démontées, d’emblée détruites pour être considérablement dépassées. La génération présentée par Niviaq Korneliussen donne envie de croire en l’avenir, donne la force de se faire confiance et faire confiance à ceux qui la composent. Elle est vivante, elle est là, elle habite ce monde, elle incarne des combats et des prises de parole sensés et intelligents.
En plus de peindre aussi habilement et justement une génération, Niviq Korneliussen nous présente des problématiques, enjeux sociaux et questionnements liés à divers chamboulements intérieurs et extérieurs vécus par ses personnages en lien avec leur appartenance ou non-appartenance au Groenland. On y découvre toute la complexité de vivre et évoluer sur cette terre que l’on sent construite de contradictions, de tensions et de non-dits incarnés dans les personnages, ses habitants.

Je vous invite, avec tant d’enthousiasme, d’admiration et d’amour, à découvrir Niviaq Korneliussen, l’autrice qui n’aime pas l’idée d’être mise dans une seule boîte, si inspirante, et à vous laisser emporter par le quotidien et les réflexions de ses personnages.


BANDE SON

Une des musiques associées à un des personnages du roman. Oui, parce que chaque chapitre porte non seulement le prénom du personnage que l’on y suivra principalement mais aussi une musique qui lui est associée. Brilant ? Oui, brillant !

 


7 réflexions sur “«What a day to be alive», lire Homo Sapienne de Niviaq Korneliussen et aimer plus fort la vie

  1. Wow,
    Quelle belle entrée en matière!
    Ça donne envie de prendre un moment, une pause pour se faire plaisir et découvrir cette autrice.
    Merci de partager ces belles découvertes.
    De belles idées cadeaux à l’approche de Noël 🎄
    Bonne lecture à tous!

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